Prologue
Svalbard
(océan Arctique), 1er novembre 2012
Elvira
se tenait étendue dans la neige polaire, le corps et l'âme rongés
par la douleur. Autour d'elle de gros flocons s'agitaient, une aurore
les nimbaient de couleurs vives.
Son
corps n'était plus que douleur, pendant une minute qui lui sembla
une éternité, elle revit un à un tous les moments de sa vie.
Elle
vit sa mère et son père qu'elle avait tant aimés, elle revit le
visage de son père à la mort de sa mère. Puis elle se souvint de
sa métamorphose, la déchéance qui s'ensuivit, la douleur de son
père, sa mort.
Elle
revit Ludwig qu'elle avait aimé comme un mentor, comme un père, lui
qui avait toujours été si bienveillant à son égard.
Elle
pensa à Julia, qui avait été pour elle une sœur, une amie comme
jamais elle n'avait espéré en avoir, elle qui se refusait d'aimer
qui que ce soit.
Maintenant
qu'il était trop tard elle se rendit compte qu'elle n'avait jamais
cessé de les aimer.
Tout
ces souvenirs s'enchainaient, tourbillonnaient, dansaient avec la
douleur qui peu à peu l’enfonçaient dans l'obscurité.
La
neige froide, si froide, recouvrait maintenant une partie de son
visage. Un froid qu'elle n'avait jamais ressenti que dans son coeur.
Quelle
bêtise que la vie! Fallait-il qu'elle soit sur le point de mourrir
pour se rendre compte que son cœur n'était pas de glace?
Sa
vie n'avait pas été parfaite, mais maintenant que le sommeil
s'emparait d'elle, Elvira se rendait compte à quel point elle avait
eut de la chance, à quel point elle aurait pu être heureuse si elle
ne s'était pas fermée au bonheur.
Maintenant
il était trop tard.
La
douleur n'était plus qu'une sensation lointaine, qui pourtant la
tenait clouée au sol. C'était comme si son corps et son esprit
s'étaient scindés en deux entités distinctes, qui ne restaient
liés que par une mince cordelette invisible.
Le
blizzard ne parvenait à couvrir le son de voix hurlantes, mais elle
ne parvenait plus à se concentrer sur le monde extérieur, les mots
étaient lointains, et comme prononcés dans un langage qu'elle ne
connaissait pas.
Elle
n'était plus actrice de sa propre vie, elle regardait l'aurore,
Yggdrasil se balançant doucement, sa lumière ambrée nimbant les
alentours, tellement paisible; tout cela comme si elle les voyaient
en rêve.
Elvira
ne parvenait plus à distinguer la réalité, les images tournaient
tout en restant immobiles, son regard ne parvenant à se fixer sur
aucune d'entre elles.
Elle
regarda sans le voir le frêne originel qui repartait dans sa demeure céleste, un long ruban de soie s'élevant, ondulant vers l'aurore sa
matrice.
Il
n'y avait plus de lumière au delà de ce que ses yeux pouvaient
voir, les images se fondaient les unes dans les autres.
Les
larmes cessèrent de couler sur ses joues, elle n'avait plus la force
de pleurer.
Le
visage de Nathanaël se tenait au-dessus d'elle, et c'était tout ce
qu'elle pouvait voir à présent, le reste s’effaça.
Elle
le vit pleurer et rire à la fois, il tenait sa main qu'elle ne
sentait plus, elle voyait ses lèvres bouger.
Puis
elle ne vit plus rien.
Elle
senti sa main caresser son visage ensanglanté, puis ne senti plus
rien, ni Nathanaël ni son propre corps.
Elle
l'entendit murmurer "ta main dans la mienne". Puis elle
n'entendit plus rien.
Alors
elle ressenti pour lui de la haine. Elle haït Nathanaël, qu'elle
avait aimé plus que tout.
Puis
elle ne ressentit plus rien du tout.