vendredi 3 mai 2013

Metamorphose - Chapitre 10 - Le Gardien

CHAPITRE 10: Le Gardien

Le lendemain, Elvira entama sa marche vers le nord de l'île principale du Svalbard. La nuit permanente lui permettait d'avancer sans avoir à s'arrêter.
De nombreux flocons de neige flottaient autour d'elle, épaississant davantage le lourd tapis sur lequel elle laissait ses traces.
C'était une chance que la vampire ne puisse ressentir ce froid qui se faisait mordant, trempant ses lames glacées dans la chair de quiconque aurait l'idée de traverser ces terres. Elle aurait aussi bien pu se vêtir d'un débardeur et d'une jupe courte, ça n'aurait rien changé pour elle.
Elle-même ne se rendait pas vraiment compte du climat, mais elle savait. Plus tôt elle s'était appercue de la présence de l'inconnu, et de celle de Nathanael, sur l'île. Elle lisait les pensées de l'homme depuis qu'elle l'avait repéré, au matin. Ils avaient dû s'embarquer dans l'avion qui suivait le sien, ce qui expliquait qu'elle ne les ait pas entendus durant la traversée de la Mer de Norvège.
C'est parce qu'elle l'écoutait attentivement, sur ses gardes, qu'elle sut que l'air était glacial. L'homme bien que couvert ne cessait d'exprimer son mécontentement, la pensée qu'il avait ne représentait que le froid, couvrant à peine sa rage envers Elvira.
Nathanael quant a lui n'exprimait rien de plus qu'une sorte de vague crainte, comme s'il savait qu'Elvira était en danger, contre quoi ou contre qui, ça restait obscur.
Tout ceci inquiétait prodigieusement Elvira, mais malgré cela, entendre leurs pensées lui faisait un peu de compagnie.
Tout en marchant, elle se demanda comment ces deux hommes avaient fait leur compte pour ne jamais se remarquer l'un l'autre. Ca rendait la situation un tantinet burlesque, c'était un fabuleux chassé-croisé comme on n'en voyait que dans les pièces vaudevillesques.
Après tout, il était probable qu'ils ne se soient jamais rencontrés auparavant et qu'il ne puissent ainsi pas se reconnaitre.

Vers treize heures, Elvira fit une petite pose sur le versant nord du Perriertoppen, l'un des deux points culminants du Svalbard .
Elle regrettait en ce lieux de ne pouvoir assister à un phénomène météorologique relativement fréquent sous cette latitude: une parhélie. Elle en rêvait, mais ce phénomène n'était possible que le jour.
Une parhélie ressemblait en fait à un arc-en-ciel, mais celui-ci n'était pas produit par la combinaison du soleil et de la pluie. La parhélie est le resultat d'un rayon de soleil venant frapper des cristaux de glace en suspension dans l'atmosphère, c'était comme un immense anneau coloré - la lumière se divisant en bandes de couleurs pâles.
Elvira avait souvent eut l'occasion de voir des photographies de divers phénomènes météorologiques, chacun l'impressionnait, cependant la parhélie était pour elle une sorte de saint Graal. C'était d'une telle beauté, un éclat irisé qui était sublimé par sa rareté. Cela la fascinait d'autant plus qu'elle n'aurait jamais l'occasion d'en observer une.
Dans son échelle de préférences, en second venait l'aurore boréale, et elle trouvait heureux que dans la nuit polaire elles étaient quasi omniprésentes.
Au-dessus d'elle de lourds bandeaux verts sinuaient comme de la soie dans l'eau. L'aurore boréale, c'était le soleil qui crachait sur le petit cailloux nommé Terre, qui se protégeait vaillamment en usant de son champs magnétique.
Par ailleurs, sans ce champs magnétique la Terre ne serait guère plus qu'un rocher nu et aride. Un an auparavant, Elvira avait lu dans une revue scientifique qu'un jour, l'activité solaire serait telle qu'au cour d'un orage magnétique puissant, il libérerait des tonnes de matière brûlante, qui c'était probable atteindrait la Terre. Ce qui aurait pour effet de détruire tous les systèmes éclectriques et éléctroniques dans un premier temps, et ensuite d'écraser puis de souffler l'atmosphère terrestre, exterminant peu à peu toute forme de vie.
Effrayant, certes, mais tout ceci n'était que probabilités. Autant vivre l'instant en espérant que ce jour n'arrive jamais.

Après ces reflexions Elvira reprit sa route, toujours accompagnée des pensées de Nathanael et de l'inconnu. Par moments elle se demandait quand ils décideraient enfin de se montrer. Enfin, ça n'avait pas tant d'importance, elle s'y préparait. Parfois les pensées de l'inconnu se faisaient plus lointaines, comme diminuées par la distance. Il avait du mal à suivre les vampires, leur endurance lui rendait la tâche malaisée, mais il était visiblement déterminé.
Au bout du deuxième jour de marche, Elvira aperçut la calotte glacière qui s'étendait non loin au large des côtes. Celle ci aurait normalement dû recouvrir presque entièrement l'archipel, mais le réchauffement climatique faisait que la calotte glacière perdait d'année en année du terrain.
Plusieurs fois au cours de sa route, Elvira avait croisé de loin des ours polaires, amaigris par la faim, se mourrant peu à peu, et elle n'y pouvait rien. Le responsable était sans nul doute un progrés mal maitrisé. Les instigateurs du progrès n'avaient pas su prévoir les conséquences néfastes de ces technologies qui soudainement avaient changé la façon de vivre de chaque être humain ayant les moyens d'accéder à ce progrès.
Aujourd'hui il n'était pas trop tard, on pouvait peut-être encore apprendre à ces gens à se servir du progrès sans que cela implique l'auto-destruction de l'humanité. Cependant, leurs habitudes étaient ancrées depuis longtemps, et il est extrêmement difficile d'en changer. Il est plus facile de penser à autre chose, de se dire que ce n'est pas à soi de faire les efforts nécessaires, que quelqu'un d'autre pourrais s'en charger- le gouvernement, les écologistes, le voisin... Mais tous oublient que cette planète ne nous appartient pas, nous y sommes locataires; nous vivons tous en collocation sur notre planète, et il est du devoir de chacun de laisser les lieux propres en partant.
Elvira en était révoltée, néanmoins elle pouvait bien admettre que pour elle il était plus facile de se passer du progrès, non seulement parce qu'elle n'avait nul besoin de se chauffer, de se rafraichir, de manger et de boire; mais aussi parce qu'elle avait vécu près de sept siècles avant l'apparition des technologies modernes. Ses propres habitudes n'étaient pas celles des humains des vingtième et vingt-et-unième siècles.

Enfin elle atteint son but, elle se trouvait à cinq mètres à peine de l'océan arctique. Elle s'assit dans la neige, estima que ses poursuivants étaient encore loin d'elle, et se mit à attendre, à méditer, même.
Elle resta dans cette posture deux heures. Nathanael n'était plus très loin mais restait discret, et l'inconnu était encore à quelques trois kilomètres de là. Une aurore immense saturait le ciel de ses couleurs vives.
Elvira remarqua un long filet de couleur qui semblait descendre lentement vers le sol, emportant avec lui l'air autour de lui. Derrière ce long ruban ondoyant les étoiles se déformaient, s'étirant, comme entrainées à sa suite.
Le ruban se détacha de l'aurore, se rassembla en une sphere mouvante, irisée, qui vint se poser face à Elvira.
La sphère commença à vaciller, à se tordre sur elle-même, formant petit à petit ce qui paraissait être un arbre.
A son imposante carrure, Elvira reconnut en cet arbre le légendaire Yggdrasil. C'était lui, oui, aucun doute. Elvira était emplie d'une crainte révérencieuse, éblouie par la beauté de cet arbre au feuillage dense, qui s'ébrouait et scintillait comme des pieces d'argents que l'on laissait tomber au soleil.
L'arbre resta dansant lentement sous l'aurore quelques minutes qui parurent à Elvira des heures. Il était si merveilleusement beau, puissant, irréél. Il semblait irradier d'une lueur qui lui était propre. Une lueur chaude, vibrante; et pour la première fois depuis trop longtemps, Elvira se sentait sereine, apaisée, réchauffée, heureuse. Un flot de sensations, de sentiments qui lui étaient inconnus. Ce fut comme si l'arbre avait réveillé la vie qui sommeillait en elle. Oui, elle se sentait indubitablement vivante, comme jamais auparavant.
L'écorce de l'arbre se mit à couler sur elle-même. Ca changeait de forme, si rapidement qu'Elvira ne pouvait distinguer les diverses formes que la chose prenait. Puis le mouvement ralentis, la vampire apperçut alors distinctement les formes, l'écorce se muait tantôt en pierre, en renard, puis un lion, un ruissellement d'eau, une rose, et un milliers d'autres choses.
Enfin, ça prit un aspect humain. Un visage se détachait parfaitement de l'arbre, il en sortait, laissant apparaitre petit à petit un corps tout entier, qui était tantôt homme, tantôt femme, tantôt enfant, à chaque fois des traits différents. Une voix claire et profonde à la fois émana de ce corps indistinct. Elvira ne put en saisir le sens, les mots étaient prononcés dans une langue aux accents graves, coulant et faisant vibrer chaque parcelle de son corps.
La silhouette se stabilisa. Il n'était guère possible de déterminer avec précision s'il s'agissait d'un homme ou d'une femme. Ses traits étaient fins, sa silhouette tout aussi émaciée. Sa peau était comme fait d'un mélange de porcelaine et de cristal. Ses yeux, une couleurs indéfinissable, parraissant être toutes les couleurs ensemble, s'accordant en une harmonie parfaite, il y avait toutes les couleurs imaginables qui ne se mélangeaient pas. Ses cheveux étaient d'un rouge flamboyant comme un feu. Sa peau était vêtue de ouate, comme si un nuage l'habillait.
Tout ceci semblait parfaitement irréel, mais pourtant il était là, Zhoran, le gardien. Un être unique, parfait, inimaginable. Elvira comprit que jamais elle n'aurait pu se le représenter de façon suffisament proche de la réalité.
"Enfin, je t'ai trouvé, pensa-t-elle. Tu es là, devant moi et je ne sais comment cela est possible. Je t'ai trouvé, après avoir cherché si longtemps."
Elle senti qu'elle l'avait cherché durant toute sa vie, elle ressentait une sorte de connexion, comme si elle et lui devaient être mis face à face.

Dans ses yeux se reflètaient l'extase de la victoire, le triomphe sur l'impossible. Il était comme un songe matérialisé. Réél, mais avec quelque chose de tellement étrange, comme si le chat du Cheshire sortait de son livre.
Il faisait si froid, et pourtant, il n'avait pas l'air de le ressentir plus qu'elle. Elle qui ne sentait rien...
"Détrompe toi. Tu sens ce que que tu veux sentir, mais qu'est-ce que cela signifie? Sentir les choses, sentir le froid sur ta peau, pourquoi l'éteindre alors, si le monde était si délimité, pourrait-on rêver?"
Elvira demeura interdite. Ces mots, prononcés de sa voix vibrante, étaient sans queue ni tête, et pourtant, ils voulaient dire tellement...
"Silence dans ta tête enfant, sauvage et courage, regarde devant toi, et ne questionne plus l'inquestionable. Regardes autours de toi, vois-tu les océans qui se brisent comme des coupelles pleines?"
Que voulait-il dire?
"Je veux dire tellement, tant et tant de choses, et rien seulement, pourtant, encore regarde et éteint tes soupirs."
Il m'entends, pensa-t-elle..
"Narrateur, cesse de penser pour elle, laisse la trouver seule la voie vers les sentiers rocailleux, seule vers le destin d'une enfant sauvage éclairée du souffle lointain. Vivace, laisse là, cesse de penser."
Hé! C'est mon roman, laisse moi donc, Zhoran!
"Te laisser, narrateur, toi qui ne sais pas où tu poses les pieds. Je suis vivant sous tes doigts blancs, mais je n'appartient pas à toi, à l'imaginaire et au rêve. Cesse de penser."
C'est moi qui t'ai fait ainsi
"et je t'échappe"
Tait toi et laisse moi finir cette histoire, Elvira doit
"savoir"
Trouver ce qu'elle cherche
"Même si pour cela tu dois te perdre."

Elvira ne comprenait pas, elle ne parvenait à comprendre à qui Zhoran s'adressait. Elle ne connait pas encore la multitude des mondes, elle n'a entrevu que le monde de Gefjon, mais le mien...

"Non, narrateur, elle ne connait point ton monde plus que les soupirs des anges au creux de ses sombres destins. Tu es faite elle comme je suis faite toi. Laisse là plonger regarder en moi pour appercevoir tes ombres."
Nos mondes sont semblables mais tellement lointains.
-Qui est le narrateur? demanda Elvira. Pourquoi ne puis-je l'entendre?
"Ton monde n'est pas le sien, Dhampire, cherche ailleurs les clés du vent. Le narrateur est toujours présent, il voit, déchaine et détruit, créé, se fait visiteur parfois".
-"Dhampire"? Tu veux dire vampire.
"Dhampire, ce que tu es, née de la mère au voile fané".
-Quoi?
-Tu es un dhampire, Elvira, intervint Nathanael. Elvira, surprise, fit volte face et le dévisagea.
-Je ne comprends pas... murmura-t-elle.
-Ta mère était une vampire, continua Nathanael, tu es née de l'union d'un humain et d'une vampire.
-Mais c'est quoi un dhampire? Qu'est-ce que tu racontes?
"Le Dhampire, arraché au creux d'une mère, meurt et vit en ce même temps. Regarde en toi tu l'entends, tu comprends, Dhampire, tu te destine à mourrir. Au passé tu es morte une froide nuit s'abattait sur ton visage arrachant la douceur de ton innocence. Tu es morte."

Elvira tomba sur ses genoux, les mots résonnaient dans sa tête, s'entrechoquaient violemment. Soudain, elle senti la douleur, le froid, le souvenir de la nuit qu'évoquait Zhoran revenait à sa mémoire, déferlent comme l'eau d'un barrage qui s'écroule.

-Elvira, susurra Nathanael qui s'était agenouillé auprès d'elle, tu n'as jamais... Tu n'as jamais été vampirisée, tu es née humaine, mais dhampire également. Tu es morte, rééllement. J'ai reçu... une visite inatendue. Keagan le démon...
"N'existe pas, il est né de l'esprit d'un vivant si loin"
- Elvira, continua-t-il, igorant Zhoran. Elvira, c'est un humain qui a fait de toi ce que tu es, il est mort il y a longtemps.
-Mais tout ce sang, je me souviens, il était fort...
-Parce que tu était fragile, le sang... Oh, mon Elvira, je suis tellement désolé.

Elvira comprit. Elle se rappella la nuit de sa transformation, elle était sorti après avoir entendu du bruit, puis quelqu'un l'avait happée, et trainée jusqu'au coeur de la forêt. Puis le matin, où elle s'était vue recouverte de sang, où le soleil lui avait fait si mal.
D'un coup elle se souvint de tout ce qu'elle avait oublié entre le soir et le matin. Elle se souvint des mains de l'homme secouant son corps, la retenant, la déchirant. Elle se souvint de la douleur, à l'intérieur de son corps, qui l'avait figée dans un sanglot.
Elle se souvint s'être débattue. Elle se souvint du coup qu'elle reçut sur la tempe. Elle se souvint être sorti de son coma, et d'avoir planté ses crocs dans la chair puante de l'homme qui venait de la violer. Elle avait bu avidemment son sang, tout son sang, laissant déferler sur ce corps immonde toute sa haine, sa rage, lui arrachant tour à tour ses membres.
Elle se souvint avoir laissé là les morceaux de ce qui fut son bourreau, et s'être écroulée, sanglante et sanglotante, à l'orée du bois, plongeant dans un coma profond duquel elle ne s'éveilla qu'au matin.

Elle se releva, hurla, frappa Nathanael de ses poings. Tout n'était plus que folie. Elle pensait trouver des réponses, mais elle n'imaginait pas apprendre cette vérité.

-Tout ça! Tout ça pour quoi?? Et tu savais! Pourquoi?
-Elvira...
Elle ne cessait de hurler, des larmes innondant son visage tordu de douleur, d'incompréhension, de haine. Des larmes, elle qui n'en avait jusqu'à présent jamais versé une seule.

"Vérité! Vérité! Vérité! Crache, crache! Déglutis ta haine, monstre insolent! Tu es l'assassine des mondes entremêlés Noble Gardienne"


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